
Shelby 289 FIA “Continuation”
Toujours aussi venimeuse
Shelby fabrique toujours les Cobra. Pas des répliques, mais des continuations. Nous avons pris le volant d’une 289 FIA conforme à l’originale pour vérifier si son venin est toujours aussi létal.
Concetta pensait avoir tout entendu sur ces versants escarpés de la Madonie, brûlés par le soleil, où Rosario la traînait tous les ans pour voir passer les bolides de la Targa Florio. Vraiment tout : le raclement clair qui accompagne le passage de la nuée des petites Alfa Romeo Giulietta Sprint et Giulia TZ, le bourdonnement sourd des Porsche 904 GTS, les vocalises symphoniques des Ferrari GTO… Tout sauf ça : une succession d’explosions pétaradantes accompagnant un roulement de tonnerre sourd à faire vibrer jusqu’au plus profond des tripes. Santa Rosalia ! L’Etna est entré en éruption ? Non, ce n’est que Dan Gurney qui vient de passer en trombe au volant de sa Shelby Cobra d’usine.
Rendez-vous à Spa
Certes, il est possible que j’aie inventé quelques détails de cette histoire, mais la photo de Concetta et Rosario (s’ils s’appellent bien comme ça), hilares après le passage de la Cobra de Gurney, existe bel et bien. Quant à l’incroyable brutalité sonore du small-block Ford de compétition, je suis bien placé pour en témoigner : me voilà quelque 2.000 km plus au nord, à brutaliser la même voiture sur l’ancien tracé du circuit de Spa-Francorchamps.

Passeport technique historique
Enfin, pas tout à fait la même voiture : la mienne est aussi proche que possible de la Cobra 289 FIA châssis n° CSX2323, jusqu’à sa décoration, mais il s’agit d’une voiture assemblée en 2014. Pas une réplique, non, une « continuation » quasi identique à la voiture d’origine et produite par le même Shelby qui fabriquait les Cobra dans les années 60. Tellement conforme qu’elle dispose même d’un Passeport Technique Historique (PTH) de la FIA l’autorisant à courir dans des épreuves historiques, au même titre que les voitures de 1964.
Tout ou rien
Philippe Médart, de Gentleman Car, qui importe les Shelby en Europe me prévient « Le 289 n’est pas très puissant et il y a un embrayage course : c’est tout ou rien ». Pas très puissant : est-ce qu’il plaisante ? C’est-à-dire que lorsque la voiture est montée avec le V8 poussé à 350 ci, elle peut développer jusqu’à 550 ch. J’ai pu essayer une de ces Cobra par le passé et effectivement, ça déménage ! « Les Anglais arrivent à pousser le 289 ci à plus de 420 ch pour la compétition » », explique Philippe, « mais ce sont des moteurs très pointus qui demandent une révision toutes les 12 à 14 heures d’utilisation. Ici, la puissance tourne autour de 320 ch et il n’y a pas à se poser de questions avant de parcourir de longues distances. »




Se sentir vivant
Passer la première, donner un grand coup de gaz (mais pas trop, pour ne pas faire cirer les pneus) tout en lâchant l’embrayage sans essayer de le faire patiner et… caler. Une fois. Deux fois, avant de décoller péniblement dans un lamentable hoquet. Je découvre une direction si lourde à basse vitesse que déjà mes doigts se crispent sur la très fine jante en bois du volant. Et puis il faut passer la seconde, ou plutôt, réussir à l’engager. Le viril levier Hurst à la grosse boule blanche et aux débattements minimalistes n’est pas là pour la décoration : pour actionner la boîte, il faut de sacrés biceps. Je passe les premiers virages en apnée. Mais petit à petit, les choses se mettent en place. Je prends rapidement mes marques et la Cobra commence à montrer un visage moins agressif. L’accélération n’est pas aussi démoniaque que ce que la mythologie de la voiture nous laissait imaginer, mais la prise de vitesse est réelle et semble impossible à arrêter. Et maintenant que nous sommes en mouvement, la direction s’allège et se montre précise. Si les ressorts à lames font trépider la Shelby sur le revêtement dégradé, son comportement reste sain et on la place exactement comme on le voudrait. Cette Cobra vous donne à chaque seconde l’impression d’être un sacré bonhomme, de la trempe d’un Dan Gurney ou d’un Ken Miles. La Targa Florio, vous la vivrez à chaque virage à son volant. Me suis-je seulement déjà senti aussi vivant au volant d’une voiture ?

Pur plaisir
C’est le moment idéal pour aborder la question du tarif. Les Shelby Cobra continuation sont proposées à des prix oscillant entre 230.000 et 280.000 euros hors taxes (en fonction des spécifications et des fluctuations du cours du dollar), alors qu’une voiture comme celle-ci, avec son PTH et strictement conforme à l’origine, demandera entre 385.000 et 425.000 euros hors taxes. C’est beaucoup ? Allons bon ! J’ai conduit bien des voitures modernes (car, rappelons-le, c’en est une) deux à trois fois plus chères n’offrant pas le quart du plaisir que distille cette Cobra. Et considérant qu’une voiture d’époque standard cote aujourd’hui plus d’un million d’euros, et qu’il faut imaginer considérablement plus pour une voiture qui a couru, sans même imaginer la valeur d’une des cinq « FIA » d’usine, ce modèle continuation apparaît soudain comme l’affaire du siècle !
Yan-Alexandre Damasiewicz / Photos Denis Meunier
